QUASICRISTAUX

QUASICRISTAUX
QUASICRISTAUX

Le terme quasicristal désigne un état particulier de la matière condensée découvert de façon fortuite, en 1984, dans un alliage métallique d’aluminium et de manganèse par D. Shechtman, I. Blech, D. Gratias et J. Cahn. L’originalité de cet état tient à sa structure atomique, c’est-à-dire à un arrangement particulier des atomes dans l’espace. En effet, les premières observations, réalisées en microscopie électronique à transmission, témoignent d’une structure fortement ordonnée à grande distance, car les figures de diffraction des électrons sont caractérisées par des réflexions de Bragg, comme le sont celles des cristaux (fig. 1). Cependant, ces diagrammes de diffraction présentent aussi deux caractères qui les distinguent de ceux des cristaux. Le premier est relatif à l’existence de symétries «interdites» dans le cas des cristaux et dont l’ensemble constitue le groupe de rotation de l’icosaèdre. Ce polyèdre régulier présente vingt faces triangulaires équilatérales égales. L’ensemble des rotations qui le superposent à lui-même est caractérisé par six axes d’ordre 5 (symétries par rotations de 720, 1440, 2160 et 2880), dix axes d’ordre 3 (rotations de 1200 et 2400) et quinze axes d’ordre 2 (rotations de 1800). La symétrie icosaédrique se retrouve dans d’autres polyèdres comme le dodécaèdre, formé de douze faces pentagonales identiques, ou le triacontaèdre, formé de trente faces égales en forme de losange. L’existence d’axes d’ordre 5 dans ce groupe suffit à exclure l’hypothèse d’un arrangement périodique des atomes. Le second caractère particulier est que les intervalles entre les réflexions de Bragg sur les plans atomiques ne sont pas périodiques, mais apériodiques. Les rapports des distances entre réflexions adjacentes font intervenir le nombre irrationnel (1+ 量5)/2 年 1,618..., appelé «nombre d’or», qui est caractéristique de la géométrie du pentagone et de l’icosaèdre. Ce rapport de distances se retrouve dans les images d’interférences directes entre le faisceau d’électrons transmis et plusieurs faisceaux diffractés au travers du matériau quasicristallin (les contrastes observés sur l’image de la figure 2 correspondent aux interférences entre les réflexions observées sur la figure 1).

La présence de réflexions de Bragg dans la diffraction d’une structure non périodique est en réalité la signature d’un ordre «quasi périodique», dont la théorie mathématique remonte au début du XXe siècle. Les modèles structuraux des quasicristaux icosaédriques rendent compte de ces symétries et des spectres de diffraction observés grâce à une description dans un espace à six dimensions. Les positions atomiques ainsi que les positions des réflexions de Bragg sont typiquement repérables par six coordonnées entières, contre trois pour les cristaux.

Élaboration des quasicristaux

Plus d’une centaine de matériaux quasicristallins furent identifiés au cours des cinq années qui suivirent la découverte du premier quasicristal, le plus souvent dans des systèmes d’alliages ternaires contenant de l’aluminium comme élément majoritaire, et un ou deux éléments de la série des métaux de transition: aluminium-manganèse-silicium, aluminium-fer-cuivre, aluminium-palladium-manganèse, aluminium-cuivre-lithium, aluminium-cuivre-ruthénium. Des quasicristaux icosaédriques ont aussi été obtenus en alliant des éléments tels que titane-chrome, titane-manganèse, gallium-magnésium-zinc ou encore uranium-palladium-silicium.

D’autres symétries non cristallines ont également été observées dans des structures pentagonales, octogonales, décagonales ou dodécagonales, ayant une direction de périodicité confondue avec un axe de rotation d’ordre 5, 8, 10 ou 12 respectivement. Ces autres structures quasicristallines furent souvent observées dans des systèmes d’alliages identiques à ceux des quasicristaux icosaédriques.

Une grande majorité de ces nouveaux matériaux a pu être identifiée, d’une part, grâce à de nouveaux examens des diagrammes de phases où, auparavant, certaines structures de composés intermétalliques n’avaient pas pu être déterminées par diffraction des rayons X et, d’autre part, grâce aux progrès techniques de différents moyens d’investigations structurales, en particulier ceux de la microscopie électronique à transmission. Si les résultats de ces recherches ont permis de dégager quelques règles empiriques sur les conditions de formation des quasicristaux, aucune loi physique n’a pu être encore établie ou vérifiée.

La fabrication du premier quasicristal aluminium-manganèse a été réalisée par une solidification ultrarapide d’alliage liquide refroidi à une vitesse de plus de 1 million de degrés par seconde (technique de la trempe sur roue), qui permet de geler une structure dans un état métastable. Cette méthode avait été mise au point pour produire des «verres» métalliques dont la structure microscopique très désordonnée est dite «amorphe». Dans le cas de l’alliage aluminium-manganèse, le matériau obtenu se présente sous forme de petits rubans contenant des grains de quasicristal de quelques micromètres dispersés dans une matrice d’aluminium. Comme la structure de ce quasicristal se transforme au profit d’une forme cristalline sous l’effet d’un traitement thermique, la structure quasicristalline pouvait être considérée comme moins stable et donc moins bien ordonnée que celle du cristal, et semblait constituer en quelque sorte une structure intermédiaire entre celle d’un liquide (ou d’un verre métallique) et celle d’un cristal. Les découvertes ultérieures d’autres quasicristaux, obtenus par des procédés classiques de solidification lente, ont cependant renforcé le point de vue que ce nouvel état de la matière pouvait être fondamental, c’est-à-dire thermodynamiquement stable à une température proche de 0 kelvin (environ — 273 0C). Cette hypothèse est fondée sur le caractère déterministe que peut présenter une structure quasi périodique telle qu’elle est décrite dans la théorie mathématique. Dans ce cas, l’entropie du quasicristal, qui donne une mesure de son désordre géométrique, est nulle.

De même que pour les cristaux, les formes facettées des quasicristaux sont directement fonction de leur groupe de symétrie et de leur structure atomique. Grâce à l’ingéniosité humaine pour reproduire des phénomènes similaires à ceux de la nature, différentes morphologies de grains facettés ont été obtenues: des formes simples (dodécaédrique, icosidodécaédrique), mais aussi des formes complexes telles qu’une étoile à vingt branches (dans l’alliage aluminium-manganèse-silicium). La première forme observée fut celle du quasicristal icosaédrique aluminium-lithium-cuivre, montrée sur la figure 3. Dans ce cas, des grains de quelques dixièmes de millimètre présentent la forme du triacontaèdre défini par trente faces en forme de losanges, identiques entre elles. L’aspect spectaculaire de cette forme facettée est qu’elle correspond à celle d’un polyèdre de symétrie icosaédrique caractéristique du quasiréseau icosaédrique défini par la théorie mathématique.

Propriétés physiques des quasicristaux

Les études des propriétés physico-chimiques des quasicristaux ont pris un réel essor avec la fabrication de mono-quasicristaux de grande taille par des techniques de croissance cristallines standard (croissance de types Bridgman et Czochralsky). Des mono-quasicristaux icosaédriques de plusieurs centimètres ont été obtenus dans le système aluminium-palladium-manganèse. De même que leur structure, certaines propriétés physiques des quasicristaux sont paradoxales. Contrairement aux alliages métalliques classiques à base d’aluminium, les quasicristaux présentent une importante résistivité électrique; elle peut atteindre celle d’un isolant dans le cas du quasicristal aluminium-palladium-rhénium (la résistivité de ce dernier est environ un million de fois supérieure à celle de l’aluminium pur). Ce sont également de mauvais conducteurs thermiques. Toutefois, le rôle central de la quasi-périodicité dans les propriétés électroniques et thermiques est encore imparfaitement compris.

Les propriétés mécaniques des quasicristaux se caractérisent par une grande dureté (environ cinq fois celle des meilleurs aciers spéciaux) et une grande fragilité observées à la température ordinaire. Au-dessus d’une température relativement élevée (environ 0,8 fois la température de fusion), ces matériaux s’amollissent brutalement; leur déformation plastique présente un comportement comparable à celui de la superplasticité. Les phénomènes mis en jeu sont toutefois différents; il semble, en effet, que des dislocations s’introduisent et migrent sous l’action d’une contrainte au travers de la structure du quasicristal, mais sans donner lieu au phénomène de durcissement structural (écrouissage) observé dans le cas des métaux ordinaires. Leur résistance à l’oxydation semble être aussi exceptionnelle, malgré le manque d’études paramétrées. Cette résistance à la corrosion, leur comportement ductile à haute température, leur faible conductivité thermique font des quasicristaux des candidats de choix pour la réalisation de barrières thermiques (moteurs d’avion, fusées, etc.).

Par ailleurs, la surface des quasicristaux est non mouillable, c’est-à-dire qu’une goutte de liquide ne s’y étale pas en un film mince. Cette propriété, associée à une exceptionnelle dureté et une grande résistance thermique, prédestine les quasicristaux à des applications technologiques de dépôts sur des supports ayant des propriétés complémentaires, par exemple comme revêtement de fond de casseroles ou de poêles à frire.

De plus, la résistance aux frottements des quasicristaux – les coefficients de frottement sur la surface d’un quasicristal peuvent être jusqu’à dix fois plus faibles que sur celle d’un acier – permet d’envisager leur utilisation pour les pièces mécaniques en mouvement, telles certaines parties des moteurs automobiles, ce qui augmenterait la longévité de ceux-ci et réduirait la consommation de carburant et de lubrifiant (donc de pollution). Parmi d’autres domaines encore inexplorés, celui de la catalyse hétérogène en présence de matériaux quasicristallins pourrait a priori concerner un bon nombre de réactions chimiques et peut-être donner lieu à quelques applications.

Modélisation des structures quasi périodiques

Si les propriétés structurales paradoxales des quasicristaux (réflexions de Bragg et symétries non cristallines) n’ont pas découragé les physiciens de la matière condensée, c’est en partie grâce à des travaux mathématiques réalisés dans les années 1970. Le mathématicien Roger Penrose a montré en effet que l’on peut construire des pavages du plan non périodiques et de symétrie pentagonale en utilisant seulement deux pavés en forme de losange (fig. 4). Chacun des deux types de losange porte une certaine décoration qui permet de préciser les règles d’assemblage entre pavés voisins. Ces contraintes interdisent de réaliser un pavage périodique, mais autorisent néanmoins une infinité de pavages non périodiques. Les pavages de Penrose ont de remarquables propriétés de régularité. La première, appelée isomorphisme local, spécifie que toute partie finie d’un pavage s’y trouve répétée une infinité de fois en d’autres endroits ainsi que dans tout autre pavage permis. Il s’agit là d’un léger affaiblissement de la caractéristique des pavages périodiques construits par répétition d’un seul motif. Une autre propriété des pavages de Penrose est leur auto-similarité: on peut toujours superposer à un pavage donné un pavage du même type dont les losanges sont à une échelle plus grande d’un facteur égal au nombre d’or (1 + 量5)/2. Enfin, la symétrie non cristalline d’ordre 5 est manifestement présente dans tous ces pavages. Les pavages de Penrose du plan ont été généralisés en pavages de l’espace à trois dimensions en utilisant seulement deux volumes élémentaires en forme de rhomboèdres. Là aussi, une décoration adéquate des rhomboèdres conduit à des règles d’assemblage qui permettent de remplir tout l’espace mais qui interdisent la périodicité et garantissent une symétrie de type icosaédrique. L’assemblage de ces rhomboèdres donne lieu à des polyèdres simples comme le triacontaèdre formé de vingt rhomboèdres.

Le paradoxe initial soulevé par les quasicristaux s’est trouvé résolu quand il a été prouvé mathématiquement, dès 1985, que des structures atomiques calquées sur ces pavages de l’espace produisent des figures de diffraction formées de pics de Bragg dont l’arrangement possède la symétrie icosaédrique et qui sont très semblables aux figures de diffraction expérimentales. La modélisation des quasicristaux et la simulation de leur diffraction utilisent une construction qui s’apparente à celle des fonctions quasi périodiques. De telles fonctions peuvent être générées à partir de fonctions périodiques en dimension supérieure dont on considère les valeurs dans des sous-espaces de dimension plus basse. Ainsi, la fonction quasi périodique d’une variable cos(x ) + cos(face=F0019 量2x ) est-elle la restriction de la fonction périodique de deux variables cos(x ) + cos(y ) à la droite y = 量2x . Les symétries possibles des structures périodiques à trois dimensions sont entièrement connues et décrites par la cristallographie classique. On montre, en particulier, que les seules rotations permises sont d’ordre 2, 3, 4 et 6 et correspondent respectivement à des angles de 1800, 1200, 900 et 600. Les symétries pentagonales, octogonales, décagonales et icosaédriques sont donc non cristallines à deux et trois dimensions, mais elles le deviennent dans des espaces de dimensions supérieures. En particulier, le réseau cubique d’un espace de dimension 6 est compatible avec les symétries du groupe de l’icosaèdre. L’espace physique de dimension 3 y est plongé dans une orientation particulière qui est irrationnelle par rapport à ce réseau de dimension 6. Les positions atomiques du quasicristal sont obtenues par projection dans l’espace physique de certains points du réseau. Ainsi un point du réseau noté (n 1, n 2, n 3, n 4, n 5, n 6), dont les six coordonnées sont des nombres entiers positifs ou négatifs, se projette dans l’espace physique en un point n 1e 1 + n 2e 2 + n 3e 3 + n 4e 4 + n 5e 5 + n 6e 6 où les six vecteurs ei pointent sur six sommets d’un icosaèdre. Le problème de la modélisation revient alors à sélectionner les points qui induisent par projection la meilleure description des positions atomiques du quasicristal réel. Contrairement aux structures périodiques, où il suffit de spécifier un ensemble fini de positions dans la maille cristalline du réseau à trois dimensions, la sélection des sites atomiques d’un modèle quasicristallin implique des «volumes» en nombre fini dont la détermination expérimentale est infiniment plus délicate. Malgré ces difficultés, les modèles structuraux des quasicristaux aluminium-palladium-manganèse ou aluminium-cuivre-fer décrivent correctement environ 90 p. 100 de leurs structures.

Phases approximantes et défauts

La théorie mathématique sur les structures quasi périodiques permet, de plus, de prévoir l’existence de défauts structuraux particuliers (appelés défauts de phasons), ainsi que des transitions structurales réversibles avec des phases cristallines particulières. Ces défauts et ces transitions ont été observés expérimentalement. Les diagrammes de phase des alliages ternaires sont en effet particulièrement compliqués au voisinage des compositions quasicristallines et les phases cristallines de composition voisine ont été appelées «phases approximantes», par référence à l’approximation d’un nombre irrationnel par des quotients de nombres entiers. Par exemple, la suite des approximants du nombre d’or (1 + 量5)/2 commence par 1/1, 2/1, 3/2, 5/3, 8/5, 13/8, etc. Le terme de phases approximantes est également justifié par la similitude de leurs figures de diffractions avec celles des quasicristaux. Les configurations atomiques locales (dans un rayon de l’ordre de 0,5 nm) des approximants semblent également très voisines de celles des quasicristaux, la différence venant essentiellement de l’arrangement à grande distance, périodique dans un cas et quasi périodique dans l’autre. Enfin, les propriétés physiques des approximants montrent les mêmes tendances (résistivité électrique et dureté élevées, par exemple). L’intérêt des approximants est de permettre aux méthodes classiques de la cristallographie de déterminer leur structure. Les mailles cristallines constituées d’une centaine d’atomes et souvent davantage, peuvent être analysées par l’exploitation des données de diffraction sur des monocristaux. On constate, en particulier, l’existence d’agrégats atomiques d’une cinquantaine d’atomes qui présentent déjà une symétrie icosaédrique. Les simulations de propriétés physiques et électroniques, notamment, s’appuient sur des méthodes bien éprouvées sur les structures périodiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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